Vague littéraire

Publié le par Michel Cerf

 

 

Dimanche. Toute la journée, la pluie tombe sur Lanruen. Pour être gris, le ciel est gris. On a l’impression qu’il fait mauvais ; s’il ne pleut pas vraiment, du moins bruine-t-il. Vrai temps de Bretagne ; qui reste agréable ; car il ne fait pas froid. Puis, le brouillard, un rideau de brume, s’installent au lointain, sur les flots, de l’autre côté de la baie, à environ quinze mille marins. C’est encore plus triste à marée basse. Et l’heure tourne, néanmoins. Puis, c’est presque le soir. C’est maintenant ou jamais. La pluie s’est arrêtée. Le temps semble s’être immobilisé. Trois jeunes baigneurs dansent furieusement au creux de la vague. C’est le moment d’y aller. Maillot de bain, chaussures de plage, short, chemise, et même chapeau (au cas où la pluie reprendrait son office). Dans un sac, je range la serviette. Sur la plage, ce costume improvisé est aussi vite retiré pour me permettre de m’élancer à l’assaut des vagues. Elles sont assez fortes, assez grandes pour vous engloutir. Je ne puis que me souvenir, en ce moment crucial, de la phase de Maurice Blanchot dans L’espace littéraire, quand il professe que ce moment même, d’écrire, est ce " mouvement si difficile et si dangereux que tout écrivain et tout artiste, chaque fois, s’étonnent de l’avoir accompli sans naufrage. "

Un peu de vent mais qui n’est ni fort ni froid. Puis c’est l’avancée dans la mer. Elle est plus froide qu’hier, mais c’est sûr, c’est certain, je l’ai décidé : je me baignerai. La plus grande victoire, c’est de se présenter en slip devant la mer et résolu à nager. Toujours le cérémonial qui consiste à se passer quelques cuillerées d’eau de mer, avec la paume de la main, sur les membres, de se frictionner le torse et la nuque. Il faut un peu de courage, et enfin, après encore une hésitation et une seconde de retenue, se jeter à l’eau avec cette ceinture froide qui vous prend au lasso, qui vous enlace, tandis qu’une première vague vous fouette ! Puis cet ignoble ceinturon finit par se desserrer et vous rend finalement votre liberté. La mer vous porte, vous emporte, une seconde vague vient vous caresser, la troisième vient vous lécher à votre insu très amoureusement (mais fraîchement tout de même, surtout aux oreilles) ; alors vous nagez et votre corps se réchauffe et ne fait finalement plus qu’un avec la mer. Vous redevenez ce que, vous semble-t-il, un instant, vous n’avez jamais cessé d’être : un poisson, un dauphin, un marsouin, un baiji ! Mais vous ne restez pas si longtemps ! Pas aussi longtemps que vous auriez voulu, en tout cas, dans l’eau, car, et ce n’est pas qu’elle soit froide – mais vous fatiguez déjà et, après quelques centaines de mètres, la plaisanterie doit prendre fin. Votre serviette va venir éponger l’eau salée sur votre corps. Très étonnamment l’air est plus doux que vous n’auriez pensé mais vous trouvez plus prudent de vous rhabiller. Après vous être séché, vous remettez votre chemise et enfilez votre polaire dont vous ne vous êtes pas vanté de l’avoir emmenée dans votre sac, et vous vous dîtes en vous même que vous avez bien fait de la prendre, tant la sensation qu’elle vous procure vous satisfait. Vous vous êtes rafraîchi. Il ne fait pas si mauvais que vous ne l’auriez pensé. Il fait même plutôt doux. Après cette sortie de bain, vous voyez le monde sous un tout nouveau jour. Vous vous sentez raffermi, requinqué, et vous songez déjà à votre prochain bain.




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